Fiche DLAJ_MAJ 30/03/2020 – Droit de retrait

EXERCICE DU DROIT DE RETRAIT DU SALARIÉ

L’exercice du droit de retrait peut permettre de protéger la santé du salarié exposé au risque de contracter le coronavirus. De plus, la simple évocation d’un exercice collectif du droit de retrait lors de discussions avec l’employeur peut permettre de créer un rapport de force propre à contraindre celui-ci à prendre les précautions nécessaires pour protéger les salariés et limiter la propagation du virus (mesures barrières, diminution de l’activité, annulation de certains déplacements, etc.).
À l’heure où tout un chacun se demande comment il peut contribuer à lutter contre la propagation du virus, l’exercice du droit de retrait peut constituer une mesure forte et efficace. Encore faut-il qu’il soit mis en œuvre de façon appropriée !

DANGER GRAVE ET IMMINENT POUR LA SANTÉ DU SALARIÉ

En cas de danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, le salarié est en droit de suspendre son activité après avoir avisé l’employeur de ce danger (art. L. 4131-1 du Code du travail). Il suffit que le salarié ait un motif raisonnable de craindre pour sa vie ou sa santé pour qu’il déclenche la procédure de retrait (Cass. soc. 23 avril 2003, n° 01-44806, BC V n° 136).
L’appréciation se fait au cas par cas. Le « Questions/ Réponses » du gouvernement souligne que peut être considéré comme « grave » tout danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée et comme « imminent », tout danger susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché (Q/R 29 du « Questions/Réponses » pour les entreprises et les salariés Covid-19 version du 17/03/2020).

L’employeur ne peut pas sanctionner le salarié qui exerce ce droit et ne peut pas cesser de lui verser sa rémunération (L. 4131-3 du Code du travail).
En cas de suspicion d’abus dans l’exercice du droit de retrait, le litige pourra être tranché a posteriori par un conseil de prud’hommes (qui sera le plus souvent saisi d’une demande de l’employeur ou du salarié relative au versement des salaires).

LE RISQUE D’EXPOSITION AU CORONAVIRUS PERMET-IL AU/À LA SALARIÉ·E D’EXERCER SON DROIT DE RETRAIT ?

Pour le gouvernement, les possibilités de recours au droit de retrait sont « fortement limitées » lorsque l’employeur prend les mesures de prévention et de protection recommandées par le gouvernement.

Dès lors qu’un employeur suit les recommandations du gouvernement, le salarié ne pourrait a priori pas invoquer le droit de retrait au motif qu’un de ses collègues revient d’une zone à risque ou a été en contact avec une personne contaminée, en l’état des connaissances épidémiologiques à ce jour (« Questions/Réponses » du gouvernement n° 9).
Cette position du gouvernement est restrictive. D’abord, le droit de retrait est un droit garanti par de dispositions législatives et mis en œuvre sous le contrôle des conseils de prud’hommes, ce n’est pas au gouvernement de le définir. De plus, les recommandations du gouvernement paraissent parfois bien légères au vu des risques de contamination encourus.

Ce qui est certain, c’est que de l’avis même du gouvernement, le fait que l’employeur ne mette pas en œuvre les recommandations du gouvernement (voir Q/R n° 13 à 19) peut ouvrir la voie au droit de retrait : refus de télétravail alors qu’il est possible, pas de protection mise en place en cas d’accueil du public, absence d’affichage des gestes barrières, absence de nettoyage adéquat des locaux etc.
Ensuite, soulignons que le « danger » peut être caractérisé par une cause extérieure au salarié (par exemple : locaux dangereux), mais peut aussi très bien être lié à son état de santé (par exemple : allergie aux agents auxquels son poste l’expose ; Cass. Soc. 20 mars 1996, n° 93-40111, BC V n° 107). Ainsi, un salarié vulnérable au coronavirus (femmes enceintes, personnes âgées de plus de 60 ans, gros fumeurs, personnes asthmatiques ou connaissant des difficultés respiratoires) pourrait mettre en œuvre son droit de retrait beaucoup plus facilement.

Notons que le droit de retrait concerne la situation du salarié. Le fait qu’il vive avec une personne particulièrement vulnérable au coronavirus ne permet malheureusement pas d’invoquer le droit de retrait. Cependant, si l’employeur a parfaitement connaissance du fait que le salarié vit avec des personnes vulnérables, et qu’il existe des solutions de télétravail, de changement de postes, de mesures de protection ou de remplacement par un autre salarié, et que l’employeur ne les a pas mises en œuvre, il commet alors certainement un abus dans l’exécution du contrat de travail.
Le rôle des syndicats et représentants du personnel est indispensable pour regarder au cas par cas la situation des salariés et peser pour que leur soit appliquées les mesures les plus protectrices.

COMMENT LE SALARIÉ PEUT-IL METTRE EN ŒUVRE SON DROIT DE RETRAIT ?

Il suffit que le salarié informe son employeur ou son responsable hiérarchique par tout moyen de l’existence d’un danger et de l’exercice du droit de retrait juste avant ou concomitamment au début du retrait. Un écrit (mail, lettre recommandée etc.) est cependant toujours préférable.
Le droit de retrait s’exerce individuellement par le salarié. Cependant, il est plus efficace et protecteur qu’un syndicat ou les représentants du personnel organisent le déclenchement du droit de retrait.

RÔLE DES REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL ET DES SYNDICATS

MISE EN ŒUVRE SYNDICALE DU DROIT DE RETRAIT

Le droit de retrait s’exerce individuellement par le salarié. Cependant, il est largement préférable qu’un syndicat organise le déclenchement du droit de retrait en ciblant les postes de travail exposés à un danger grave et imminent ou encore en ciblant les salariés particulièrement vulnérables.
Mais pour être sûr d’être dans les clous, il faut que chaque salarié individuellement prévienne l’employeur de l’exercice de son droit de retrait.
Les salariés du musée du Louvre, en lien avec la CGT Culture, ont exercé leur droit d’alerte et de retrait pendant plusieurs jours, avant que leur direction ne prenne des mesures de limitation du nombre de visiteurs et de protection.

MISE EN ŒUVRE DU DROIT D’ALERTE PAR LES MEMBRES DU CSE

Les représentants du personnel au CSE peuvent individuellement exercer un droit d’alerte en cas de danger grave et imminent pour les travailleurs. Ils doivent alors consigner leur alerte par écrit dans un registre spécial. Cet avis doit comporter les postes de travail concernés par le danger, la nature et les causes de ce danger, le nom des travailleurs exposés.
L’employeur est alors tenu de procéder à une enquête avec le représentant du personnel qui a lancé l’alerte et de prendre toute mesure qui s’impose. Avant que les salariés n’exercent leur droit de retrait chacun individuellement, il peut être utile que des membres du CSE lancent une alerte auprès de l’employeur. Cela rend le droit de retrait plus collectif. Cela peut permettre également de contraindre l’employeur à réfléchir à des solutions pour éviter les situations à risque.
À l’issue de l’enquête, s’il y a désaccord entre le CSE et l’employeur sur les mesures à mettre en œuvre ou sur l’existence même d’une situation de danger, l’inspecteur du travail doit être saisi par l’employeur.

UNE COMMUNICATION INDISPENSABLE

Dans le contexte actuel, il est indispensable d’expliquer de façon claire et convaincante les raisons du droit de retrait ou du droit d’alerte. La communication pourra se faire en fonction de l’ampleur du droit de retrait via un tract interne, un communiqué, un PV de réunion de CSE, etc.
La communication pourra par exemple démontrer que l’employeur n’a pas mis en place les mesures nécessaires pour protéger les travailleurs et que c’est pour éviter la propagation du virus dans la population et l’engorgement des hôpitaux que ceux-ci exercent leur droit de retrait ou que le syndicat les appelle à le faire.

EXIGER LA MISE EN PLACE DES MESURES NÉCESSAIRE À LA SANTÉ ET SÉCURITÉ DES SALARIÉS

Les représentants du personnel et les syndicats peuvent exiger des employeurs qu’ils diffusent les informations sur les règles d’hygiène et de sécurité, qu’ils mettent à disposition du matériel de prévention, qu’ils procèdent au nettoyage des locaux lorsque cela est nécessaire, qu’ils réaménagent les postes de travail, qu’ils mettent en place du télétravail, qu’ils ferment temporairement l’entreprise avec maintien de salaire… toutes mesures qui doivent être exigées en fonction de la situation spécifiques de chaque entreprise, chaque poste, chaque salarié.
Rappelons que l’employeur est tenu à une obligation de sécurité à l’égard des salariés. Il doit prendre les mesures nécessaires pour protéger leur santé. Il doit notamment les informer lorsque des risques se présentent et mettre en place les moyens adaptés pour les protéger au mieux (art. L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail).
Les représentants du personnel et syndicaux peuvent aussi revendiquer que les mesures prises par l’employeur soient négociées.

Surtout, toutes les mesures concernant le fonctionnement de l’entreprise nécessitent une consultation du CSE. Ces consultations doivent impérativement avoir lieu. Les élus doivent exiger d’être consulté dans les formes. Ils doivent également veiller à la bonne application des accords existants (par exemple : accord de modulation du temps de travail, accord RTT, accord sur le télétravail).
Si les représentants du personnel ne souhaitent pas se rendre physiquement à des réunions ils peuvent toujours demander des réunions par visioconférences, même si les conditions légales ne sont pas remplies, avec toutefois le risque que l’employeur refuse pour ce motif.
Les représentants du personnel sont un rouage essentiel du fonctionnement de l’entreprise, à plus forte raison lorsque celle-ci fait face à une crise. Il n’y a pas de bonne décision auxquelles ils n’ont pas été associés et, surtout, ce sont eux qui permettent d’informer réellement et en confiance le personnel.

Or, ces derniers jours ont montré que « l’effet panique » créé par les annonces des dirigeants peut avoir des conséquences sérieuses et créer des problèmes qui ne se seraient pas produits autrement (par exemple : pénuries dans les supermarchés parisiens, embouteillages exceptionnels pour quitter Paris, etc.).

POURSUITE DE L’ACTIVITÉ SYNDICALE, DÉPLACEMENT DES IRP

En dépit de l’extrême gravité de la situation sanitaire et en violation des recommandations des professionnels de santé, le gouvernement continue d’encourager les entreprises à fonctionner et les salariés à aller travailler, même lorsque le télétravail n’est pas possible, et quel que soit leur domaine d’activité. La CGT affirme que la santé des travailleurs est la priorité, et revendique la fermeture des services et entreprises non essentiels.

À ce jour, beaucoup d’entreprises continuent donc leur activité. Dans ce contexte de crise sanitaire, la question de la poursuite de l’activité syndicale et de l’exercice de leur mandat par les représentants du personnel (membre du CSE, délégués syndicaux…) est cruciale. Si l’activité est maintenue, il est essentiel que les représentants du personnel puissent exercer pleinement leur mandat pour garantir les droits et la sécurité des travailleurs particulièrement menacés en ce moment. Leur présence est indispensable pour engager des droits d’alerte pour danger grave ou imminent, ou organiser un droit de retrait collectif des salariés dont la santé serait menacée.

Dans le cadre de l’exercice de leur mandat, les représentants du personnel sont régulièrement amenés à se déplacer, notamment quand l’entreprise et divisée en plusieurs sites géographiquement éloignés. En principe, seuls sont autorisés les trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et les déplacements professionnels insusceptibles d’être déplacés. L’employeur doit alors
délivrer à ses salariés une attestation permanente précisant que le télétravail n’est pas possible et que la présence des salariés est indispensable à l’activité. L’exercice du mandat étant par nature en lien avec l’activité professionnelle, l’employeur doit donc délivrer aux représentants du personnel une attestation autorisant leurs déplacements dans l’ensemble des sites que compte l’entreprise. À défaut, il porterait entrave à l’exercice du mandat des représentants, qui risqueraient d’être sanctionnés en cas de contrôle lors de déplacements liés à leur activité syndicale.

Toutefois, il ne faut pas que l’exercice de leur mandat par les représentants du personnel mette leur santé ou celle des autres salariés en danger. Ils doivent donc veiller à respecter les gestes barrières lors des échanges avec les salariés (distanciation etc.). S’agissant des déplacements, lorsque l’ensemble des sites de l’entreprise se trouvent dans une zone géographique pas trop étendue et que le représentant du personnel peut s’y rendre avec sa voiture, cela ne pose pas de difficulté particulière, si l’employeur lui a bien remis son attestation. En revanche, compte tenu des recommandations sanitaires, les déplacements liés à l’exercice du mandat peuvent être déconseillés voire interdits, notamment s’ils impliquent de prendre des transports en commun types métro, RER ou train. En effet, cela exposerait l’élu à un risque de contamination ou, s’il est lui-même contagieux, à un risque qu’il propage l’épidémie. Cela met tristement en lumière l’absurdité de la centralisation de la représentation du personnel que l’on a constatée avec la mise en place des CSE. Si une représentation du personnel de proximité avait été maintenue, comme le revendique la CGT, toutes ces difficultés n’auraient pas existé. Dans ce cas-là, les salariés travaillant sur des sites sans représentation du personnel propre risquent d’être privés de représentants, ce qui est très grave compte tenu de la situation. Si les déplacements ne sont pas possibles pour des raisons liées au risque sanitaire, il faudrait mettre en place des outils informatiques pour que les salariés puissent toujours échanger avec leurs représentants.

Attention : la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covic-19 adoptée le 23 mars prévoit de nombreux aménagements en matière de droit du travail, qui seront précisés par ordonnance. On sait dès à présent que le gouvernement envisage de prendre des mesures permettant de modifier les modalités d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel, notamment le CSE, « pour leur permettre d’émettre les avis nécessaires dans les délais impartis ».
Nous ne savons pas pour l’instant quelles formes prendront précisément ces mesures, si elles ne concerneront que les modalités de consultation du CSE en cas de mise en œuvre de l’activité partielle, ou si elles concerneront également d’autres consultations. Nous tenions toutefois à vous alerter dès à présent sur ces dispositions envisagées, et vous tiendrons informés dès que possible.

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